Kheiron : esprit libre abonné

Humoriste, acteur, scénariste, réalisateur : Kheiron multiplie les casquettes. Né à Téhéran (Iran) au début des années 80, l’artiste revendique sa liberté d’expression et affiche clairement son ambition : rire de tout, avec tout le monde. Sur scène, dans son spectacle On n’éteindra pas la lumière ou à l’écran, avec son dernier film, Brutus vs César, il n’affiche aucun tabou. Rencontre.

Par Guillaume Lefèvre— Publié le 18/09/2020 à 12h54

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Alors que le monde du spectacle a été mis à l’arrêt et reste impacté par la crise sanitaire, comment vivez-vous cette période ?

Je dirais comme la majorité des gens. Nous n’avons pas le choix.
Il faut avancer et rester dans le positif. Ça ne sert à rien de ruminer. J’ai profité du confinement pour écrire un nouveau film. Il faut mettre son énergie dans des choses que l’on peut faire bouger ! J’ai toujours fonctionné comme ça. C’est dans ma nature. J’ai été éduqué comme ça. J’ai la chance de venir de loin et de pouvoir prendre du recul. Je me vois comme un gars libre qui a tout fait pour être libre et qui veut continuer à kiffer au maximum parce qu’il sait qu’il va mourir, qui ne sait pas quand, qui ne croit pas en la résurrection, ni au paradis ni à l’enfer. Je pense que tout se joue maintenant. Je veux perdre le moins de temps dans ma vie. Le temps, c’est ce que nous avons de plus précieux et c’est ce qu’on ne nous remboursera jamais. Les amis, l’argent, les passions, ça va et ça vient, c’est éphémère, ça évolue et ça fluctue.

Vous faites référence à votre histoire familiale ? [Ses parents ont fui l’Iran. Ils se sont opposés au régime du shah, puis à celui de l’ayatollah Khomeiny.]

Le parcours de mes parents m’a beaucoup appris par rapport à la résilience, au lâcher-prise. Parce que mon père a refusé de renier ses idées, il a été arrêté lorsqu’il avait 22 ans et a passé huit ans en prison. Mes parents ont tout quitté et tout recommencé à zéro, en France. Le diplôme de droit de mon père n’a pas été validé. Il a donc repris les cours à la Sorbonne, le matin. L’après-midi, il prenait des cours de français. Après, il allait bosser comme veilleur de nuit. Il habitait Paris. Pendant ce temps-là, avec ma mère, nous vivions dans un foyer, à Villeurbanne. Il nous envoyait de l’argent, jusqu’à ce qu’on ait enfin pu s’installer ensemble, à Stains (93).

Ma mère a été aide-soignante à domicile, elle a tenu un camion qui vendait des burgers… Ils ont enchaîné des petits boulots. Très vite, ils se sont investis dans la vie associative locale, ils n’ont pas pu renier qui ils étaient. Leur parcours est inspirant à tous les niveaux. C’est pour ça qu’aujourd’hui je savoure l’assise et la stabilité que j’ai dans la vie. C’est aussi pour cette raison que je tiens à ma liberté d’expression.

Religion, sexisme, communautarisme… dans vos spectacles, vous n’éludez aucun sujet, au nom de la liberté d’expression, justement ?

Bien sûr. C’est ce qu’il y a de plus important. Un monde idéal, c’est un monde dans lequel on est tous différents, mais dans lequel on respecte ces différences. On n’a pas à être les mêmes. Il faut juste accepter la différence de l’autre. J’ai la volonté que l’on puisse rire tous ensemble de nos différences. Sur scène, je suis toujours dans la bienveillance, je peux me permettre de charger les gens, je ne fais pas de quota. Il y a des soirs, ça va être telle ou telle communauté ou telle ethnie. Mais il n’y a pas de méchanceté ni de message politique.

Vous ne vous censurez jamais ?

Non. Je n’ai pas de tabou. Quand tu as un tabou, tu es prisonnier de ce sujet-là. Il faut réussir à rire de tout, parce que ça te rend libre. J’aime dire ce que je pense. Je ne suis pas enfermé dans une situation. Quand ton père te raconte pourquoi il a passé huit ans en prison, tu vois les choses différemment. Tu ne veux pas te taire. Ceux qui sont dans la censure sont les gens qui veulent exister médiatiquement, qui s’indignent pour un oui ou pour un non.

On peut donc rire de tout ?

Ça dépend avec qui. Un inconnu qui vient et qui se permet d’entrer dans ta zone de souffrance, ça ne passera pas. Tout dépend de qui te fait la blague, du contexte. Les…

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