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[Inform' Express] Juin 2021 - Grand Angle : Choisir sa fin de vie

Publié le 03/06/2021

Le suicide assisté en Suisse de Paulette Guinchard-Kunstler début mars et la présentation d’un projet de loi par le député Olivier Falorni début avril ont relancé le débat sur la fin de vie choisie.

Très diminuée par la maladie, Paulette Guinchard-Kunstler, membre de la CFDT, députée PS de la deuxième circonscription du Doubs, secrétaire d’Etat aux personnes âges du gouvernement de Lionel Jospin, auteure de la loi qui a mis en place l’Allocation personnalisée d’autonomie (APA), a décidé de mettre fin à ses jours le 4 mars, à l’âge de 71 ans, en ayant recours au suicide assisté en Suisse. Cette décision courageuse et le départ de cette femme de conviction qui avait une expérience professionnelle et militante sur la fin de vie a relancé le débat sur la fin de vie choisie en France. Interrogé sur la question au cours du « Grand entretien » sur France Inter le 17 mars, Laurent Berger, Secrétaire national de la CFDT a été clair : « Il faut permettre l’accompagnement de la fin de vie de façon volontaire. Cela a été l’objet d’un débat au dernier congrès de la CFDT parce que nous avons souhaité avoir une position commune. Paulette Guinchard était une adhérente de la CFDT. Elle a permi de relancer ce débat-là. C’était une très belle personne. Nous sommes favorables à aller là-dessus. Relancer une mission cela suffit ! Il faut agir maintenant ! »

 

Un amendement voté au congrès de Rennes

Lors de son dernier congrès en juin 2018 la CFDT a débattu sur ce thème. « Le sujet est arrivé deux mois auparavant dans les débats au sein du Conseil économique social et environnemental (CESE), explique Thierry Cadart, secrétaire national, trésorier de la confédération en de la coordination au sein du CESE. Les membres de la délégation CFDT ont été embêtés car la CFDT n’avait pas de position claire sur ce sujet délicat et sensible. Il n’y avait pas de division profonde mais des différences de sensibilités sur la question. La délégation au CESE a été dans l’obligation de s’abstenir. Il est donc apparu nécessaire de poser le sujet de la fin de vie dans notre résolution. J’ai donc été chargé de porter un amendement sur ce thème au congrès de Rennes. » Les syndicats ont adopté un amendement en faveur d’une évolution de la législation actuelle. « Notre positionnement s’inscrit dans un mouvement plus global qui tend à prendre davantage en compte la volonté des patients alors que traditionnellement, dans notre pays, ces derniers étaient soumis à la décision du corps médical.  Nous sommes dans la même situation que pour l’avortement dans les années 70. Certaines personnes peuvent contourner la loi et bénéficier d’un suicide assisté dans un pays étranger et d’autres ne le peuvent pas et c’est souvent une question de moyens financiers. C’est un vrai sujet à trancher. Dans les pays où cette pratique est autorisée on n’assiste pas pour autant à des vagues incontrôlables. Le vrai scandale en France, c’est que l’on ne meurt pas bien. Malgré les différents plans anti-douleurs mis en place depuis les années 1990 notre pays accuse du retard. Le corps médical reste opposé à cette pratique. Les soins palliatifs ne sont pas assez développés et la prise en charge des personnes âgées, particulièrement à la fin de leur vie, n’est pas à la hauteur des besoins. »

 

Une première loi en 1978

En avril 1978, le sénateur Henri CAILLAVET (Gauche démocratique, Lot-et-Garonne) déposait la première proposition de loi relative au droit de vivre sa mort. L'adoption de la loi du 22 avril 2005 relative aux droits des patients en fin de vie a marqué une avancée réelle. Elle a consacré le droit au « laisser mourir » et permis aux patients d'exprimer leur volonté de ne pas recevoir les soins nécessaires à leur survie. La Loi Claeys-Leonetti a pris le relai e 2016 de la loi Leonetti. Droite et gauche l’ont voté à une très forte majorité. Le texte récuse l’acharnement thérapeutique. Il prévoit que, par un choix collectif l’équipe médicale peut décider d’interrompre les traitements si ceux-ci apparaissent « inutiles, disproportionnés ou n’ayant d’autre effet que le seul maintien artificiel de la vie ». L’avis de la famille est alors sollicité pour savoir ce qu’aurait voulu le patient. L’arrêt des traitements s’accompagne d’une sédation profonde et continue jusqu’au décès, ce que Jean Leonetti appelle « le droit de dormir avant de mourir pour ne pas souffrir » Mais cette loi est encore trop méconnue tant par les patients que par le milieu médical : deux français sur trois ignorent qu'il existe une loi qui interdit l'acharnement thérapeutique et seuls 2,6 % des médecins généralistes et 15 % des paramédicaux ont pu bénéficier de formation à l'accompagnement de la fin de la vie en cinq ans. Le manque de soins palliatifs est également à déplorer dans les établissements médicaux. Par ailleurs, la loi génère parfois des situations complexes et insoutenables pour la personne malade et son entourage. Quand les soins palliatifs s'avèrent insuffisants sur la douleur, la loi autorise le droit au « laisser mourir » par l'arrêt des soins. Il peut notamment s'agir de l'arrêt de l'alimentation artificielle. Or, beaucoup de médecins estiment que c'est éthiquement inacceptable et s'y refusent.

 

Une nouvelle proposition de loi

Le 8 avril, les députés avaient à se prononcer sur un projet de loi déposé quatre ans auparavant par le député de Charente-Maritime Olivier Falorni (Libertés et territoires) sur « une fin de vie libre et choisie » dans le cadre d’une niche parlementaire. Cette proposition de loi avait pour objet de permettre qu’un patient adulte souffrant s’une pathologie incurable puisse demander à mourir après l’avis d’un collège de médecins. C’est ce qui se pratique en Belgique depuis 20 ans déjà. Autour de la France d’autres Pays catholiques vont dans ce sens : Espagne, Portugal, Irlande pour en finir avec les euthanasies clandestines. 2000 à 4000 par an plaide Olivier Falorni.  Choisir le moment de sa mort plutôt que la sédation profonde et continue loi Claeys- Léonetti qui n’empêche pas toujours la douleur. La République en marche au pouvoir anticipait déjà son adoption car la moitié du groupe parlementaire emmené par le député et professeur de médecine Jean-Louis Touraine était sur la même ligne qu’Olivier Falorni. Le texte avait été adopté par la commission des affaires sociales la semaine précédente. C’était sans compter sur l’obstruction parlementaire de cinq députés Les Républicains : Xavier Breton, Patrick Hetzel, Frédéric Reiss, Julien Ravier et Marc Le Fur qui ont déposé près de 2 500 amendements et de nombreux sous-amendements ce qui a empêché l’assemblée nationale d’achever la discussion du texte et son éventuelle adoption dans le temps qu’il lui était imparti. Seule lueur d’espoir en fin de journée les amendements de suppression de l’article 1er ont été repoussés par 256 voix contre 56. Cet article prévoit la création d’une « assistance médicalisée active à mourir ». Légèrement réécrit par le député Guillaume Chiche (non inscrit) l’article 1er du texte a été adopté à quelques minutes de la fin des débats par 240 voix contre 48. Olivier Falorni a interpellé à plusieurs reprises ses collègues des Républicains, accusés de faire de l' « obstruction parlementaire » : « Ces amendements n'ont qu'un but, empêcher l'Assemblée nationale, les représentants de la Nation, les députés, de voter ici, souverainement !  Les Français vous jugeront ! »

 

Une première victoire

Dans un communiqué de presse du 9 avril, L’association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD) qui compte 75 400 adhérents voit une première victoire dans cette passe d’armes à l’assemblée nationale. Selon le président de l’association, Jean-Luc Romero-Michel, « à défaut d’arguments, et après un travail en commission pourtant de haute tenue et plein de promesses, c’est le blocage de la démocratie que choisissent les voleurs de liberté pour priver les Français d’un nouveau droit. C’est un pur scandale… J’en appelle aujourd’hui au président de la République, Emmanuel Macron. » Selon l’association il appartient aujourd’hui au président de la République, qui écrivait, en 2016, dans son livre Révolution : « Ce serait une faute que de nous dérober ou même de nous accommoder du statu quo...c’est cette révolution démocratique à laquelle je crois. Celle par laquelle, en France et en Europe, nous conduirons ensemble notre propre révolution plutôt que de la subir. », de démontrer qu’il a entendu le souhait des Français et la volonté très majoritaire des députés, mais aussi des sénateurs, d’avancer sur la question de l’aide active à mourir, qui procurera un droit supplémentaire à nos concitoyens, sans jamais rien imposer, dans le respect des consciences et des volontés. Le Gouvernement doit à présent mettre à l’ordre du jour des travaux du Parlement, en dehors d’une niche, un texte de liberté qui réponde aux attentes des Français.

 

Expliquer, témoigner, argumenter

Le Dr Claire Fourcade, présidente de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (SFAP), dans une invitation à une Web conférence intitulée « Et maintenant on va où ? » organisée le 28 avril précise la position de l’association sur ce projet de loi : « l’article 1 de ce texte concernant la mise en place de l’euthanasie dans notre pays a été voté avec une très forte majorité de 240 voix pour et 48 voix contre, grâce à une adhésion Trans partisane. Le résultat de ce vote est uniquement symbolique mais marque certainement une étape importante dans l’évolution des lois sur la fin de vie dans notre pays. Nous avons gagné un sursis sans doute, mais ce constat nous convoque tous. La question va revenir en force dans l’actualité politique et la SFAP doit y prendre toute sa place pour expliquer, témoigner, argumenter. La SFAP marche sur 2 pieds : elle est à la fois une société savante qui construit et diffuse les savoirs sur les soins palliatifs, et aussi un mouvement militant qui vient témoigner auprès de tous dans notre société de l’importance de la place accordée aux plus fragiles. Chacun peut individuellement se sentir plus proche de l’une ou l’autre de ces options mais c’est parce que collectivement nous portons l’ensemble de ces réflexions qui se nourrissent l’une de l’autre que nous pouvons parler à tous et prendre notre place dans le débat national. »

 

Un débat à mener dans la dignité

La CFDT a de son côté réagi à l’obstruction parlementaire qui a bloqué le débat par le biais d’un communiqué de presse de Thierry Cadart : « La CFDT regrette que les conditions d’un débat de fond sur cette question grave, porteuse d’une symbolique forte, ne soient pas réunies. La CFDT s’est prononcée lors de son dernier congrès pour que la loi évolue et permette, dans tous les cas, le respect de la volonté des personnes en fin de vie, notamment lorsque cette volonté est exprimée dans des directives anticipées. Ce débat, aussi fondamental soit-il, ne doit pas faire oublier les progrès encore à accomplir pour le développement de soins palliatifs de qualité et accessibles à tous. »

Ce sujet n’a donc pas fini de faire débat dans la société française, d’autant que la majorité parlementaire pense l’inscrire à nouveau à l’ordre du jour de l’assemblée nationale.